« Aux concours mandarinaux, l’étude de cet article sera prochainement rendue obligatoire ». C’est en tout cas ce qu’affirme le très objectif Quotidien du peuple sur son site internet…
Comment ça hu shuo ba dao ? Vous me traiteriez de menteur ? Je suis on ne peut plus sérieux ! Ah si, je comprends en fait, c’est à cause de… Oui, bon, d’accord. Je raconte n’importe quoi.
Mais vous avouerez qu’une intro du style : « Le marchandage en Chine est très répandu », ou « Attention, les chinois sont des roublards », ça n’aurait pas apporté d’eau à votre moulin. Ni de baijiu à vos intestins d’ailleurs.
漫画:李涛
Marchander donc : faire faire des circonvolutions au prix, en discuter (du prix, pas des circonvolutions). Terme à ne pas confondre avec le verbe arnaquer, qui a la voix passive se rapporte au sentiment des occidentaux à chaque transaction financière bilatérale.
Comment ça tai guofen le ? Cette fois, vous avez tort de ne pas me croire…
J’ai échoué à mon oral de marchandage, je le confesse. Mais ma copine, elle, est diplômée de l’UCCP, Université chinoise de circonvolutions des prix. Aussi, depuis un an et demi qu’elle daigne partager ma couche chinoise, j’ai appris les ficelles du métier.
Appliquer les préceptes de Sun Tzu
兵者,国之大事也。死生之地,存亡之道,不可不察也。
A la recherche de chaussures pour Virginie, nous déambulons dans les allées d’une espèce de « Yashow », harcelés de toute part, déshabillés sous toutes les coutures. Les stands se succèdent : Guci, Adadas, Dicr, Loui Fiston, Doche Cabana...Que de la qualité en somme !
Soudain, tel une arme de guerre, l’œil exercé de ma chérie repère à 3 heures une paire de chaussures susceptible de l’intéresser.
Surtout, ne pas montrer son intérêt pour ladite semelle de crêpe ! Feindre la blasitude, comme dirait la Dame du Poitou… Nous nous approchons, et, dans une magistrale leçon de désinvolture, Virginie pointe les chaussures, et apostrophe la vendeuse :
- Combien cette paire ?
- Celle-là ? Elles sont bien, pas vrai ? C’est du vrai cuir ! Tiens, essaie-les d’abord ! Quelle taille ?
- Hmmm…
Elle les essaie, et malgré son austère expression, intérieurement, Cendrillon jubile dans ses pantoufles de vair. Feignant l’agacement à l’attention de la vendeuse, elle me souffle en français :
- Wouah elles sont trop bien celles-là je les achète si j’arrive à bien négocier sinon j’ai pas envie de mettre autant de sous dans une paire de chaussures qui sera foutue dans deux mois qu’est-ce que t’en penses chéri ? (Le tout sans reprendre son souffle… Quel coffre !)
- Oui, oui. Elles sont pas mal. Fais ce que tu veux. On s’en va bientôt ?
C’est à peu près à cet instant qu’elle sort l'artillerie lourde. Tous les coups sont permis ! Attention, la suite comporte des scènes susceptibles de heurter la sensibilité des plus jeunes.
- Alors, combien ?
- Pour toi, je les fais à 300…
- Quoi, mais c’est hors de prix ! C’est même pas du vrai cuir.
- Mais si, mais si, regarde. (Elle prend une chaussure, et la tord dans tous les sens) Tu vois ?
- Non, je ne vois pas. Et à ce prix là, je ne les achète pas.
- Bon, bon… Tu les achètes à combien ?
Elle fait mine de réfléchir, mais son prix est fixé depuis l’instant où elle a vu les chaussures : ce sera 60, et pas un kuai de plus !
- Cette paire, elle ne coûte pas plus de 50 kuai.
- Quoi ? Impossible, à ce prix là, je perds de l’argent. (Elle désigne d’autres chaussures, moches et de mauvaise qualité). A 50, je te vends cette paire, les roses là-bas, avec les pompoms… Sérieusement pengyou, je ne peux pas te les faire à moins de 120.
- Tant pis, je trouverai ailleurs…
- Attends, attends ! 100, mais c’est mon dernier prix.
- Bon, je te les prends à 60, point final.
- 65 ?
- Ok, va pour 60.
Si ce petit dialogue résonne familièrement aux oreilles des français de Chine, les autres seront peut-être choqués par sa… vigueur, disons. En fait, sachez que cette saynette est quotidienne, et tout à fait naturelle.
Dans ce genre de magasins, les prix ne sont pas affichés. A la vue d’occidentaux, les vendeurs tentent le tout pour le tout ; on ne peut pas leur reprocher. Les prix sont donc à l’origine exorbitants, et la marge de négociation logiquement gigantesque.
Pour ceux qui comme moi culpabilisent parfois, dites-vous bien qu’ils ne vendent pas à perte, et que nous autres laowai achetons (presque) toujours plus cher que les chinois… Enfin, je pense que certains aiment négocier, et encore plus avec des étrangers. Ils faut donc le voir comme un jeu, parfois amusant, parfois fatiguant…
En résumé, tentez d’évaluer le prix au début, paraissez sérieux et désintéressés, soyez prêts à mimer un départ. Annoncez d’abord un prix bas (pas trop, sinon le vendeur refusera de discuter avec vous), puis remontez petit à petit, en tentant de le faire descendre plus rapidement. Remuez vivement le tout, égouttez, et servez sans attendre...
Bon appétit.. Euh, bon shopping !